Consultation citoyenne
Je sors d’un atelier participatif lié à la communauté de communes où j’habite. Comme ça fait plusieurs ateliers auxquels je participe, et que je commence à avoir une idée plus claire de ce qu’en sont les limites, j’écris. C’est parti.
Consultation citoyenne, de quoi on parle ?
Ce soir, j’ai participé à un atelier autour du SCoT, le Schéma de Cohérence Territoriale. C’est le document qui suit le Plan Climat (PCAET), et donc qui guide les politiques de l’agglomération, celles qui seront mises en place à partir de 2027 (oui c’est loiiiiiin).
Une étude pour démarrer
Pour démarrer, et au vu de la critique du manque de consultation citoyenne qui a beaucoup été faite autour du PCAET, l’agglo a lancé une grande enquête (qui a bien marché car il y a eu beaucoup de répondant·es, 1350 en tout sur un territoire de 100 000 habitant·es).
Les thématiques qui y étaient abordées étaient :
- L’habitat
- Les mobilités
- L’activité économique
- Services et santé
- La consommation, le commerce
- Environnement et changement climatique
- Energie
- Tourisme
Le questionnaire regroupait à la fois des questions sur notre situation personnelle, et sur nos souhaits de changements. Je me souviens avoir été agréablement surprise car je suis rentrée facilement dans les cases, alors que j’ai un profil très atypique (à mon compte et salariée, sans voiture, en télé-travail temps plein, sobriété choisie notamment sur les achats et déplacements…). Preuve à mon avis que le travail a été bien fait et le questionnaire bien rédigé.
De plus, le bureau d’étude en charge de la diffusion a envoyé nomément à X personnes (je ne me souviens plus du nombre) le questionnaire par courrier postal, afin de les solliciter personnellement (des personnes, si je me souviens bien, choisies pour qu’elles correspondent à un échantillon représentatif). Si je ne suis pas certaine de l’effet, car je n’ai pas le chiffre du % de personnes sollicitées ainsi qui ont effectivement répondu, je note l’effort.
Une consultation pour enchaîner
Suite à cette étude, on nous propose de participer à un premier atelier. Je me rends dans un grand gymnase où étaient disposées une 30aine de tables autour desquelles pouvaient s’asseoir 8 personnes !! Tout était étonnamment bien organisé. Sur la table, les résultats de l’étude en 2 exemplaires, très faciles à lire, du jus de pomme et de l’eau, quelques stylos. On m’indique que je suis à la table numéro 9, autour de laquelle il n’y aura finalement que 6 personnes.
On nous présente les résultats de l’étude, puis on nous indique que nous allons avoir à plancher sur une thématique (que nous n’avons pas choisie) pendant 1h15. Si nous avons fini avant, nous avons la possibilité d’en traiter une seconde de notre choix. Une scribe est désignée (moi haha) pour noter les réponses du groupe (la dame a gentiment indiqué que ça serait cool que ça ne soit pas que des femmes, rien que pour ça elle a gagné un point dans mon coeur)
On nous distribue les thèmes et j’ai la chance d’avoir biodiversité ouf ! (j’aurai moins aimé avoir tourisme ou énergie)
Les questions étaient les suivantes :
- A. Pourrions-nous / devrions-nous imposer (de façon réglementaire) un coefficient/quota de biodiversité (faune, flore) pour tous les nouveaux projets d’aménagements ? A quelles conditions ?
- B. Comment développer, favoriser la biodiversité (faune, flore) chez les particuliers pour l’habitat déjà existant ?
- C. Comment impliquer les entreprises, espaces commerciaux, collectivités locales dans la protection de la biodiversité sur leurs parcelles ? Doit-on renforcer leurs obligations ? A quelles conditions ?
- D. Comment améliorer et développer la nature en ville et centre bourg ?
- E. Plus généralement, comment faire de la biodiversité une priorité collective ?
Et là… on touche au début des limites de l’exercice.
Déjà parce que nous avions parmis nous une personne anti-réglementation. Il y a d’après lui déjà trop de règles, partout. Impossible pour les autres de pousser sur ce sujet.
Ensuite, par exemple pour la question A sur le coefficient / quota de biodiversité… Ca se calcule un niveau de biodiversité ? Qui le calcule ? Qui dit “oui là c’est suffisant, non là ça l’est pas” ?
BREF, c’était dur de répondre à froid à ces questions qui sont pointues et demandent à mon avis des connaissances expertes.
Or, à un moment, lors de l’ouverture, le président de l’agglomération nous a encouragé en disant “tous les avis ont la même valeur”
Eh bien je ne suis pas d’accord. Si il y avait eu un chercheur en biodiversité à ma table, son avis n’avait pas la même valeur que le mien. Et c’est ok !
Cependant là, autour de cette table, il n’y avait pas de spécialiste formé de la question, rien qu’une paire de gens qui venaient avec leurs parfois maigres connaissances sur le sujet, et notamment leurs a prioris.
Comment répondre de façon pertinente aux questions si quelqu’un en face de vous dit “il y a déjà trop de règles”, “les entreprises sont pionnières en matière de biodiversité”, ‘de toute façon ça n’est pas X le problème, c’est Y”, “il n’y a pas de problème de biodiversité sur le territoire, c’est un territoire rural”, “la biodiversité il n’y a pas de définition donc c’est pas clair ce que ça recouvre”… etc etc
Rajout à J+1 : Je réalise que je n’ai même pas été capable de dire spontanément à cette personne qui ne trouvait pas que la biodiversité était un enjeu important que nous étions en plein “Effondrement de la biodiversité”… Pourtant je le sais, je connais ces 4 mots par coeur… mais j’imagine que c’est la différence entre quelqu’un dont c’est le métier et quelqu’un qui se sensibilise individuellement sur le sujet. Un nouvel exemple qu’à froid, on n’est pas bons.
Bilan de la consultation
Bref, le temps de discussion passe, et nous affichons nos réponses (chaque thème avait été traité par 3 tables différentes). Et là, je vois que même si nos réponses sont complémentaires… ben franchement on casse pas 3 patte à un canard, et surtout on ne réinvente pas la roue !!
Pire, il y a sûrement des manques dans ce qu’on dit, et des platitudes dûes au fait que nous étions à froid en découvrant le sujet…
J’ai donc l’impression que, malgré l’organisation qui était au poil, les timing parfaits, même la nourriture était là (et végétarienne en partie <3), eh bien ce type de consultation, ça ne marche PAS.
Rajout à J+1: En fait, ça dépend des objectifs
Je pense qu’à présent, je serai plus sélective en demandant en amont aux personnes l’objectif de la consultation.
En se référant par exemple au tableau suivant, actuellement à mon avis on est sur du niveau 4 : Consultation (dans la catégorie Coopération symbolique ou tokenisme yeaaaah)
Alternative textuelle du tableau
1. Manipulation : information biaisée utilisée pour "éduquer" les citoyens en eur donnant l'illusion qu'ils sont impliqués dans le processus. 2. Therapie : traitement annexe des problemes rencontrés par les habitants, sans aborder les vrais enjeux 3. Information les citoyens recoivent une vraie information sur les projets en cours, mais ne peuvent donner leur avis 4. Consultation des enquétes ou des réunions publiques permettent aux habitants d'exprimer leur opinion sur les changements prévus. 5. Conciliation : quelques habitants sont admis dans les organes de décision et peuvent avoir une influence sur la réalisation des projets. 6. Partenariat : La prise de décision se fait au travers d'une négociation entre les pouvoirs publics et les citoyens 7. Délégation de pouvoir : le pouvoir central délegue a la communauté locale pouvoir de décider un programme et de le réaliser. 8. Controle citoyen : une communaute locale gère de maniere autonome un équipement ou un quartier.Or, je pense que ce qui m’intéresse, c’est seulement d’être dans les niveaux 6, 7 et 8, catégorie “Pouvoir effectif des citoyens”
A la limite, même le niveau 4 me semble intéressant, mais je ne vois pas comment, par exemple à partir de la variété d’idées que nous avons donné, il va être possible de réaliser une politique territoriale cohérente. Cela va être vraiment compliqué, ce qui me fait dire que cette consultation possède un écueil majeur : Elle essaie de recueillir l’avis des citoyens, mais n’est pas concrètement actionnable pour les politiques, le risque étant une finalité molle : Les participant·es ne voient pas à quoi leur temps/avis a été utile et a aidé concrètement (et les grands discours de remerciements ne sont plus suffisants), et les politiques voient une fois de plus que demander son avis aux citoyen·nes, c’est beaucoup d’énergie et d’organisation pour un résultat inintéressant au mieux, fastidieux à prendre en main et adapter sinon, avec le risque évident ici que la conclusion sera insatisfaisante pour une bonne partie des personnes (dû au fonctionnement en consensus mou)
La consultation de mes rêves
Donc maintenant que j’ai critiqué le concept, est-ce que ça veut dire qu’il faut arrêter de demander leur avis aux personnes ?
NOPE. Voici ma proposition, que j’amenderai en fonction des retours pertinentsque je recevrai.
Ce qu’il aurait fallu pour que cela fonctionne, à mon avis, c’est :
- De la formation
- Des questions fermées, issues de propositions de la recherche
- Un mode de “décision” plus clair
- Une meilleure représentativité
Formation
Nous avons besoin d’une base commune. Et quand je dis nous, je parle au niveau national aussi bien qu’au niveau de la consultation ou même juste au niveau de ma table-thématique biodiversité.
Nous avons besoin de partir du même point, pour qu’au-delà de nos vécus individuels et donc non représentatifs, nous puissions dire “ok, ça c’est un sujet, ça c’en est pas un”.
Les entreprises sont pionnières dans l’entretien de la biodiversité ? Est-ce que c’est vrai, est-ce que c’est faux ? Il nous faut des chiffres, il nous faut une expertise pour le savoir.
L’étude dont nous sommes partis était intéressante mais ne peux pas se substituer à ce temps de formation, elle y est complémentaire.
Par exemple, il a été indiqué que :
- Le changement climatique est perçu comme dû à l’activité humaine par 94% des répondants (c’est 61% au niveau national)
- Pour 33% il est dû principalement à un phénomène naturel (comme la Terre en a toujours connu)
- Pour 18%, on ne peut pas savoir
-> Pour 30% des répondants, le changement climatique est principalement d’originie humaine et dû à un phénomène naturel.
Ces chiffres sont très intéressants mais POURQUOI on ne prend pas le temps de rappeller qu’il n’y a pas de doute et que factuellement, il est prouvé que le problème est exclusivement d’origine humaine ?
Si la base n’est pas commune sur ce type de constat, imaginez sur chaque table les clivages selon le sujet abordé et les origines des personnes.
C’est pourquoi je l’affirme, le résultat de la consultation ne peut pas être de bonne qualité si les citoyens ne sont pas formés un peu sérieusement sur le sujet.
Des questions fermées issues de propositions de la recherche
Je l’ai dit plus haut, malgré le procédé bien ficelé, les résultats produits me semblent… inintéressants.
Autant l’étude donne des indications intéresantes sur ce que les personnes auraient envie / seraient prêtes à faire, autant ce remue-méninges d’1h15 ne donnait à mon avis aucun résultat surprenant / nouveau et donc rien d’intéressant. Pire, il y a peut-être de gros trous dans la raquette, et donc passe à la trappe des actions possibles et très pertinentes, non pas par désintérêt mais juste par méconnaissance.
De plus, il y a déjà des gens qui ont fait ce travail de chercher ce qu’il serait possible de faire, quels en seraient les effets positifs comme négatifs, lesquels ont le plus d’impacts…
Ces gens sont des expert·es, et nous devrions utiliser leurs travaux plutôt que de perdre 1h15 à essayer d’inventer des choses.
Aussi, je trouverai bien plus pertinent que les organisateur·ices effectuent un travail de recensement des solutions possibles, et nous les exposent, sans omettre les effets bénéfiques et les difficultés qui seront rencontrées. Ensuite, les personnes présentes pourraient donner leur avis sur ce qu’elles ont envie de voir mis en place sur leur territoire, une fois qu’iels ont entre les mains toutes les connaissances pour décider, grâce à la formation préalable et l’exposition des enjeux de chaque solution possible.
On pourrait même imaginer qu’il y aurait un temps de discussion collectif, où chacun pourrait se positionner et tenter de convaincre, puis seulement ensuite un vote individuel, plutôt qu’un temps de recherche de consensus mou qui finalement n’est vraiment satisfaisant pour personne.
PS : Ajout à J+1 : Propositions de mode de vote :
- Le jugement majoritaire : Facile à mettre en place car déjà existant
- Toutes les proposition sont notées, et avec un code couleur on indique si la proposition fait l’unanimité, la majorité, est une idée comme ça dans le groupe en mode électron libre
- On peut voter sur une échelle comportant les réponses : J’aime / Je porte l’action, J’appuie, Je suis indifférent, J’ai besoin de + de discussion, Je m’oppose.
Davantage de représentativité
Je n’avais pas de données sur le niveau de représentativité des personnes du territoire. Une personne qui m’a ramenée m’a dit qu’à sa table iels étaient toustes CSP+. J’ai noté qu’il n’y avait qu’une seule personne noire dans la salle. 88% des répondants au sondages étaient propriétaires. Il y avait seulement 3 enfants dans la salle, dont un bébé qui était porté par sa mère (les 2 autres enfants avaient 8 ans environ).
Ma croyance est donc que le public présent ce soir là (on a fait du 19h-22h) ne représente qu’une frange de la population favorisée, et que nous devrions faire mieux. J’ai conscience que cela serait vraiment très difficile, car après des années à éloigner les gens de la politique, leur dire “votre avis à de la valeur” quand on voit la situation de déni démocratique dans laquelle on est, ça me semble dur.
En même temps, on n’arrivera à faire de grandes et belles choses que toustes ensemble. Cela vaut le coup d’y mettre beaucoup d’efforts.
Le récit d’une consultation à impact concret :
J’arrive à la consultation, on m’indique le groupe que je vais rejoindre. Il s’agit du groupe biodiversité. Une fois toustes arrivé·es, une chercheuse, très pédagogue, forme les 20 personnes que nous sommes sur le sujet : quels sont les enjeux, les spécificités du territoire. Elle nous apporte les chiffres clefs, et nous explique les impacts d’un effondrement de la biodiversité, et comment ce thème se mêle aux autres sujets. Ensuite elle nous liste dans le détail les actions permettant de limiter cet effondrement.
Nous pouvons lui poser toutes les questions que nous souhaitons, puis nous devons passer au travail.
Nous avons sur notre table une liste d’actions possibles pour préserver et renforcer la biodiversité. Nous ne les découvrons pas, car nous avions reçu les informations à la maison, pour pouvoir nous y préparer et y réfléchir en amont.
Pour chacune des actions, sont listés les effets positifs, les éventuels impacts négatifs, le temps de mise en place, le territoire concerné (partout, coté ville, coté campagne, pour les entreprises, pour les centre-villes, pour les individus…). La chercheuse nous les avait déjà cités. Nous discutons entre nous de ce qui nous pose question.
Puis, après ce temps de discussion, nous votons sur ce que nous souhaitons voir mis en oeuvre, et le priorisons selon les votes (par exemple grâce à un vote de type Jugement majoritaire)
Les élus auront ainsi, à la fin, une feuille de route claire de ce qui est souhaité par les habitant·es du territoire, ainsi que l’impact des différentes actions, et les secteurs de mise en oeuvre.
Conclusion
Ce récit ne peut se dérouler correctement que si il comporte à la fois les temps de :
- enquête préalable
- formation des participant·es
- proposition d’actions choisies selon leur impact (d’après la recherche)
- discussion
- vote
Je crains que si nous continuons à ne réaliser de la participation basée uniquement sur des temps de :
- enquête (et encore pas toujours !)
- discussion
- propositions
Nous continuions à perdre du temps, voire à créer de la frustration chez les participant·es qui ont l’impression de ne servir à rien, ou de servir de caution aux élus…
Et du temps, nous n’en avons pas tant que ça
Merci de m’avoir lue !
PS du 15 mai : Après discussion avec des ami·es habitué·es aux réflexions de ce genre, je me dis qu’il n’y a pas nécessité de formation, mais davantage nécessité de laisser du délai entre la découverte du thème et des questions, et les réponses. Temps qui permettrait aux personnes de se renseigner sur le sujet, lire et élaborer des réponses, avant de les confronter aux idées du groupe.
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